Alors que les tensions entre la Chine et l’Inde augmentent sur terre et sur mer, les deux puissances sont également en concurrence pour accroître leur influence en Asie du Sud-Est. Face au déploiement des Nouvelles routes de la soie, l’Inde tente tant bien que mal de développer son Act East Policy. La récente visite indienne au Myanmar vise ainsi à renforcer la présence de l’Inde dans ce pays à la position hautement stratégique.
Le port de Sittwe et les routes fluviales et terrestres relieront Calcutta, le nord du Myanmar et le Mizoram (nord de l’Inde).
D’importants projets : vers la construction du port de Sittwe et de routes commerciales
Le ministre des Affaires étrangères et le Général en chef des armées indiens se sont rendus au Myanmar lors d’une visite conjointe début octobre pour rencontrer Aung San Suu Kyi et des membres du gouvernement birman. La construction de plusieurs infrastructures de transport et des coopérations dans le domaine du développement étaient à l’ordre du jour.
Les deux pays ont en effet annoncé vouloir achever la construction du port de Sittwe début 2021. L’Inde finance la construction de ce port situé sur une île appartenant au Myanmar dans le Golfe du Bengale. Il est la pièce centrale du Kaladan Multi-Modal Transit Transport Project, un projet de 480 millions de dollars qui vise à relier le port de Kolkata en Inde à L’État septentrional birman de Rakhine, où se trouve Sittwe, et enfin à L’État de Mizoram (Inde) par voie fluviale et terrestre. La route qui doit relier le Myanmar à Mizoram est également toujours en construction.
D’autres projets ont également été débattus, comme celui de la construction par l’Inde de l’autoroute trilatérale de 1360 km de long qui reliera l’Inde à la Thaïlande en passant par le Myanmar.
L’État de Rakhine au Myanmar : obstacle ou opportunité d’investissements ?
L’Inde peine cependant à achever le Kaladan Multi-Modal Transit Transport Projet et la construction de l’autoroute trilatérale. Ils devaient respectivement se terminer en 2016 et en 2015. L’importante instabilité de l’État de Rakhine, au nord du Myanmar, en est l’une des raisons. En plus des persécutions menées par la Tatmadaw* envers les Rohingyas, l’Armée de l’Arakan y est en conflit avec l’État birman. En 2019, ce groupe ethnique armé avait kidnappé cinq Indiens qui travaillaient sur le projet du Kaladan pour demander à l’Inde de leur verser des taxes sur ces constructions. La plupart de leurs armes étant de fabrication chinoise, certains analystes avancent l’hypothèse que la Chine les soutiendrait afin de ralentir les projets indiens.
En réponse, l’Inde pousse l’État de Rakhine à se développer socio-économiquement. Elle espère ainsi permettre la résolution des conflits avec l’Arakan Army, ainsi que le retour des réfugiés Rohingyas. Le Rakhine State Development Program financé par l’Inde a ainsi permis de créer des infrastructures dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’agriculture. La visite de cette semaine a notamment permis aux deux pays de signer un accord sur l’optimisation du matériel agricole. Ils se sont également entendus sur la construction d’un pont entre les deux État qui permettra d’intensifier les échanges commerciaux.
Des enjeux géopolitiques pour l’Inde : étendre son influence en Asie du Sud-Est
Ces projets s’inscrivent dans l’Act East Policy, qui traduit l’ambition indienne d’accroitre sa présence et son influence en Asie du Sud-Est. En cela, la position du Myanmar à l’entrée de cette région rend ce pays crucial pour les ambitions indiennes. Les routes commerciales ainsi ouvertes devraient permettre à l’Inde d’avancer son implantation commerciale dans la région du Golfe du Bengale.
En plus d’intérêts économiques, l’Inde tente également de contrer une trop grande influence de la Chine dans ce pays et plus généralement en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien. En effet, la Chine est historiquement un partenaire important du Myanmar ainsi que son premier investisseur étranger. Elle y étend désormais ses Nouvelles routes de la soie. Elle développe en ce moment le port en eaux profondes de Kyaukpyu (État de Rakhine) afin d’exporter ses produits manufacturés, et elle importe du pétrole et du gaz offshore de la réserve de Shwe, dans la Mer d’Andaman. De part la position du Myanmar et la rivalité sino-indienne, il est alors dans l’intérêt de l’Inde d’offrir une alternative aux investissements chinois afin d’éviter que le Myanmar ne devienne économiquement et politiquement soumis à la Chine.
*La puissante armée birmane
Clara SCHLECK
Clara Schleck étudie l’histoire à l’université Panthéon-Sorbonne, après deux années de classe préparatoire littéraire au lycée Janson de Sailly.