Billet du lundi 20 octobre 2025 rédigé par Gérard Chesnel membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.
La corruption fait rage sur l’ensemble de la planète et les peuples semblent être résignés. Mais quand les bornes sont franchies, le ressentiment éclate et les débordements ne sont pas contrôlables. Ces derniers mois, dans trois pays d’Asie et de l’océan Indien, l’Indonésie, le Népal et, tout récemment, Madagascar, le peuple a exprimé de façon violente sa frustration et son désir d’en finir avec les dirigeants corrompus. Sans grand résultat jusqu’à présent.
Tout a commencé fin août en Indonésie. Les média français, accaparés par les problèmes de politique intérieure, n’en ont pratiquement pas parlé. Il fallait aller sur les journaux de Hong Kong et de Singapour (South China Morning Post, The Straits Times) ou sur les vidéos diffusées par les chaînes chinoises telles que WeChat, pour avoir une idée de l’ampleur de la révolte. La classe politique, qui vit dans l’aisance, voire dans l’abondance, pour des raisons souvent liées à une augmentation spectaculaire de la corruption, se voyait reprocher son indifférence et son inefficacité face aux problèmes de plus en plus aigus que rencontre la population dans sa vie quotidienne. Même la classe moyenne est affectée. C’est évidemment le Président Prabowo Subianto, ancien gendre de Suharto (belle référence en matière de corruption) qui est mis au premier rang des accusés, mais aussi son prédécesseur Joko Widodo, qui avait pourtant bonne réputation du temps où il était aux affaires. On découvre aujourd’hui qu’il était peut-être le pire de tous et qu’il dirige un vaste réseau de mise en coupe réglée des ressources de son pays, notamment les mines. C’est évidemment une grande déception pour ceux qui, il y a peu encore, en faisaient leur héros.
En quelques jours, les bâtiments symboles de l’Etat comme l’Assemblée Nationale et les assemblées provinciales, ont été pris d’assaut et pillés ou détruits dans la plupart des grandes villes du pays (Jakarta, bien entendu, mais aussi Surabaya, Bandung, Semarang et, en province Medan, à Sumatra, den Pasar à Bali ou Ujung Pandang (Makasar) aux Célèbes, pour ne citer que les plus connues. De manière très significative, des manifestants ont pénétré dans la résidence de la Ministre des Finances, Sri Mulyani Indrawati, qui avait qualifié les enseignants de fardeau, ainsi que chez plusieurs parlementaires (Uya Kuya et Eko Patrio) jugés insensibles aux difficultés économiques de la population.
Pris dans cette tourmente, le Président Prabowo n’a pu assister à la séance inaugurale de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), ce qui n’est pas très bon pour l’image de son pays. Mais, ancien Ministre de la Défense et disposant encore du soutien de l’armée, il sut rapidement rétablir l’ordre et put se rendre à la cérémonie de clôture de l’OCS. Avertissement sans (grands) frais, donc, mais ce n’est sans doute que partie remise.
Au Népal, les choses sont allées plus loin. Mêmes causes (la corruption, les inégalités sociales), mêmes manifestations de colère et destruction d’édifices publics, mais les forces de l’ordre ont tiré et l’on déplore 73 morts et des centaines de blessés. Dans ces conditions, le Premier ministre, KP Sharma Oli, d’obédience maoïste, a dû démissionner. Il est remplacé par un gouvernement provisoire présidé par l’ex-cheffe de la Cour Suprême. Des élections législatives doivent être organisées pour le 5 mars.
Autre différence avec l’Indonésie, les jeunes semblent vouloir jouer le jeu des élections et des millions d’entre eux (la Z generation) s’inscrivent sur les listes électorales. Va-t-on assister à une prise de pouvoir démocratique, à la régulière ? L’avenir nous le dira bientôt.
Madagascar, enfin, est entrée à son tour dans une spirale de violence. Très comparables à la génération Z du Népal, les jeunes ont dans un premier temps obtenu du Président Andry Rajoelina le départ du Premier ministre, remplacé par un militaire, le Général Ruphin Fortunat Zafisambo, le 6 octobre dernier. Mais alors qu’il semblait avoir repris les gouvernes, l’unité d’élite dite CAPSAT (Corps d’Armée du Personnel et des Services Administratifs et Techniques) s’est ralliée aux manifestants. Le bruit a couru de la fuite du Président. Dans cette situation chaotique, la France, pour sa part, a continué d’apporter jusqu’au bout son soutien au Président Rajoelina. Mauvais choix puisque celui-ci a finalement été remplacé par le chef du CAPSAT, le Colonel Michaël Randrianirina. L’image de la France, dans ces conditions, a été sérieusement endommagée et les slogans anti-français se sont multipliés.
Il ne serait pas étonnant de voir ces exemples suivis dans d’autres pays, notamment au Maroc. Voilà quelques manifestations du ras-le-bol général des classes défavorisées qui refusent désormais de se résigner et qui, sous l’impulsion des jeunes et des étudiants, cherchent à établir un nouvel ordre. Espérons qu’ils y arriveront sans trop de violences.












