par Hocine Kerzazi
Dénoncer l’oppression israélienne est indispensable mais il serait bon de ne pas attendre à chaque fois que les bombes et la mort aient fait leur ouvrage pour se rappeler qu’un peuple est martyrisé. Il est temps d’avoir une attitude à la mesure de la gravité des faits : les Palestiniens ne subissent pas des attaques prétendument motivées mais un véritable massacre installé dans le temps et la froideur comme un cancer. Si l’on ne comprend pas sérieusement ceci, il viendra un jour où nos manifestations se feront à la mémoire d’un peuple disparu.
Les cris d’indignation qui se multiplient dans la blogosphère, relayés par l’élan populaire de solidarité que l’on sent à travers le monde ont évidemment leur vertu mais ne sont-ils pas une réaction a minima ? Le propos qui suit entend accompagner par quelques recommandations la conscience de tout.es ces Français.es, êtres humains tout d’abord, qui battent en ce moment le pavé en soutien au peuple palestinien. L’un des fondamentaux de la pensée humaniste nous enseigne-t-il pas qu’au delà des mots, « être libre, ce n’est pas pouvoir faire ce que l’on veut, mais c’est vouloir ce que l’on peut ». (1).
Une colère froide
Il convient d’éviter d’exacerber la colère de l’instant car celle-ci se dissipe aussi vite qu’elle est venue. Nos hurlements d’indignation ne viendront jamais seuls à bout du gouvernement « bourreau » d’Israël qui sévit depuis trop longtemps. S’il est naturel d’avoir des sentiments, il faut aussi apprendre à ne pas les laisser dominer l’entendement. Une colère « rouge » qui donne de la voix présente toujours la faiblesse de ressembler à une ébullition émotionnelle pure et passagère. En poussant le raisonnement, peu s’en faut que l’on s’aperçoive combien cette émotivité s’accorde avec de l’indifférence, ceci malgré l’antagonisme des termes. On est ici dans l’attitude de l’indignation de bienséance, du quota de larmes et de slogans, mais sans plus.
Au contraire de cela, une colère « froide » serait mieux appropriée. Ce serait la colère mise au service de l’esprit, c’est-à-dire d’un arsenal de réactions toutes pensées et tendues vers un seul but : mettre fin à l’injustice. La manifestation de la colère ne serait plus ici un trop plein de douleurs que l’on vide en place publique mais une entreprise de réelle information des gens, de mobilisation des consciences, et d’appel solennel aux autorités gouvernantes de notre pays.
Mais, que signifie donc réagir avec l’esprit et quels contenus donner à ces réactions de résistance ? Il est évident qu’au-delà de cette ligne, nous sommes en train de parler d’attitudes beaucoup plus engagées dans le sérieux et la qualité.
Briser l’image médiatique d’un Israël jamais coupable
« Israël riposte ». Attaquer pour se défendre est une ruse cousue de fil blanc dont l’histoire nous fournit une galerie d’exemples aussi sinistres que variés. On ne compte plus le nombre de casus belli mensongers qui ont servi de prétextes à l’invasion de territoires – généralement civils ou sous-armés – au motif de protéger des frontières ou des groupes humains. Allons-nous remonter jusqu’à l’invasion de la Silésie en 1939 ou celle du Timor en 1975 ? Pourquoi sommes-nous si facilement amnésiques ?
« Regain de tension », « violences », « heurts »… Voilà ce dont s’efforce de nous convaincre un discours médiatique ces dernières semaines dans son traitement de l’actualité sur la manifestation pacifique palestinienne. Abattre de sang-froid des manifestants non-armés serait une riposte « mesurée ». Il s’agirait ainsi d’opérations « préventives » à laquelle Israël recourrait de manière parfaitement « légitime » et « proportionnée » devant une « menace terroriste » latente. « A qui la faute ? », se demandera-t-on. Aux Palestiniens évidemment, Israël ne faisant que se défendre. Face à cette entreprise incessante de désinformation médiatique, notre devoir d’information s’impose et doit être de tous les instants.
Condamner l’amalgame coupable entre antisémitisme et critique légitime de la politique israélienne
Si Bernard-Henri Lévi met en avant ses identités israélienne et juive pour revendiquer son implication en Libye – ce qui lui épargne d’avoir à évoquer des intérêts plus bassement liés à l’industrie du pétrole – les gens de bonne volonté doivent éviter absolument d’adopter un discours aussi dangereux et simpliste. Protester contre la barbarie que subit le peuple palestinien au nom de valeurs ethniques ou religieuses serait tomber dans le piège béant de l’amalgame primaire. Contrairement à BHL qui semble tout mélanger – ou plutôt a le droit de le faire – la critique de la politique israélienne ne doit pas se confondre avec une offense aux juifs, comme on l’a reproché dans de récentes manifestations. L’appel à la haine par des cris tels que « Mort aux juifs » est clairement l’une des pires abominations.
Beaucoup de participants aux manifestations, surtout les plus jeunes, ignorent tout des enjeux du conflit et le réduisent trop souvent à une opposition religieuse entre « les musulmans et les juifs ». Ils font ainsi l’impasse sur la réalité politique et ceci est de nature à alimenter l’antisémitisme. Or l’antisémitisme est à la fois un hors-sujet au problème et une des maladies des plus déplorables. Dénoncer la monstruosité de la politique belliqueuse israélienne peut être le fait de personnes juives telles que Rony Brauman, Michel Warschawski, Shlomo Sand, Michèle Sibony ou Ilan Pappé. Il est urgent que les indignés qui manifestent pour la Palestine puisent leurs forces autant dans la connaissance et la culture que dans les faits de pure masse dont ils donnent actuellement l’image. Il me souvient qu’à plusieurs reprises des personnes de retour de Palestine, les unes musulmanes les autres catholiques attachées à la visite de la Terre Sainte m’ont rapporté des témoignages rehaussés d’un point commun très intéressant.
En effet, ces personnes ont fréquemment croisé des Palestiniens de toutes origines et
confessions leur ayant spontanément offert des services de guide tant leur culture personnelle était riche. Je n’entends pas ici par « culture » vous parler de choses légères comme des marques de voiture ou des noms de joueurs de foot. Ces Palestiniens sont capables de vous prendre par la main et vous commenter l’histoire de Jérusalem et d’Hébron sur des périodes historiques relevant de l’érudition : de l’antiquité jusqu’à l’époque ottomane. Autant que ces personnes menacées de toute part ont compris la valeur de la résistance par la culture, il faut que nous la comprenions nous aussi. Et bien entendu, il faut ensuite la « pédagogiser » et la transmettre. Au-delà des témoignages verbaux qui me sont parvenus, j’invite les lecteurs les plus courageux à se pencher vers l’excellent témoignage en la matière de l’historien britannique William Dalrymple.
La Palestine, terre ayant connu tant de chagrin à travers les siècles, présente la particularité d’être à la fois la terre des Palestiniens mais aussi une part du patrimoine de l’humanité, une part d’universalisme que tout être humain devrait connaître et aspirer à préserver. Sous l’angle spécifique de la civilisation islamique, la Palestine a également toujours bénéficié de ce statut d’exceptionnalité de terre des prophéties anciennes.
Il ne faut pas oublier que, malgré l’insécurité frappant cette région, la Palestine gagnerait à être visitée par un flot ininterrompu de gens avec leurs cerveaux, leurs yeux et leurs oreilles. Rappelons-nous ici que la première chose dont a besoin une armée génocidaire c’est l’absence de témoin… Il y a ici une réflexion à mener.
Multiplier les prières silencieuses et intimes
Enfin, que ceux d’entre nous qui ont la foi peuvent ultimement ajouter à leur engagement envers la justice une dimension spirituelle par la voix de la prière et de l’invocation. Sans doute ces mots sont ils plus faciles à poser pour une autorité ecclésiastique que pour l’homme du commun. Il demeure que les congrégations religieuses réunies en églises, synagogues, mosquées ou temples divers, sont également des lieux de force et de revigoration des consciences. La conviction est acquise qu’il vaut mieux approuver les initiatives de prières pour les morts que de leur préférer le silence et l’indifférence.
Aimer, penser, agir, ne jamais s’arrêter. Aimer, penser, agir…. Quand ces mots nous restent à la conscience jusqu’à cadencer notre marche, nous sommes enfin humains. Témoigner de sa solidarité auprès des plus opprimés, il en va de notre conscience citoyenne, morale et humaine. Au-delà même d’une « solidarité pro-palestinienne », il s’agit d’une contribution humaniste au vivre-ensemble auprès de tous les opprimés de cette planète.
(1) Jean-Paul Sartre, Situations I (1947).