Billet du lundi 21 juillet 2025, rédigé par Gérard Chesnel, membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.             

On ne parle plus aujourd’hui que d’Ukraine, d’Iran ou de Gaza. On semble avoir oublié qu’aux portes du monde arabe il existe un continent d’un milliard d’habitants, non dénué d’intérêt politique ou économique. La Chine et la Russie l’ont bien compris et en ont tiré les conséquences. L’Europe fait la fine bouche. Il est vrai que, depuis l’indépendance, les régimes africains n’ont pas toujours été des modèles de démocratie. En Afrique francophone en particulier, les « dynasties » installées par Omar Bongo au Gabon, Kabila au Zaïre, Sassou-Nguesso au Congo ou encore Teodoro Obiang Nguema en Guinée Equatoriale n’ont pas donné de la démocratie africaine une image particulièrement positive. Même dans un pays considéré exemplaire comme le Sénégal, un opposant notoire, Omar Diop Blondin, ancien élève de L’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud (qui joue son propre rôle dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard) fut emprisonné à Gorée et retrouvé mort dans sa cellule en 1973, donc à l’époque du Président Senghor. Et que dire des cas quasi-pathologiques comme Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique ou, pour ce qui concerne l’Afrique anglophone, Idi Amin Dada en Ouganda ou Mugabe au Zimbabwe. A tous ces désordres s’ajoutent guerres civiles (notamment en Angola et au Mozambique ou au Libéria) et génocides (Rwanda, Darfour et Soudan du Sud). Et il convient aussi de rappeler l’existence d’Etats faillis, comme la Somalie et l’Erythrée, qui entretiennent l’insécurité chez leurs voisins. Comment s’étonner dès lors des hésitations qu’éprouvent beaucoup à s’engager dans cette région.

La France a longtemps soutenu des régimes insoutenables à l’époque de la France-Afrique. Mais sous la pression de l’AQMI et de la Russie, les opérations Serval et Barkhane s’étant soldées par un échec, elle a fini par lâcher prise au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina, pays pourtant considérés comme essentiels dans la tentative d’endiguement du djihadisme et au surplus riches en minerais stratégiques (mine d’uranium d’Arlit, au Niger). Dans ces pays, la Russie soutient des régimes potentiellement dangereux, avec la présence du Groupe Wagner. Et la liste n’est pas close. Le Nigéria, première puissance de l’Afrique sub-saharienne, doit, depuis de nombreuses années faire face aux terroristes de Boko Haram (dont le nom signifie que les livres sont impurs) qui tentent en particulier d’empêcher l’éducation des jeunes filles. Les talibans au cœur de l’Afrique ! Souhaitons enfin que la Côte d’Ivoire retrouve une stabilité salvatrice.

Paradoxalement, c’est l’Afrique du Sud, qui fut longtemps mise au ban de la communauté internationale pour avoir imposé l’apartheid, qui s’en sort le mieux, les élections présidentielles se déroulant sans grave problème. Elle est l’un des membres fondateurs et le seul membre africain des BRICS, où elle vient d’être rejointe par l’Egypte et l’Ethiopie, le Nigéria n’étant pour l’instant qu’un partenaire. Cette appartenance à ce qu’on définit parfois comme un contre G7 accroît encore l’intérêt pour ces pays de la Russie et de la Chine, qui a d’ailleurs étendu à l’Afrique les « bienfaits » de la nouvelle Route de la Soie.

Malmenée, brinquebalée, l’Afrique ne manque pourtant pas d’atouts. Le dernier numéro de la revue Jeune Afrique titre en couverture « Made in Africa », qui rappelle le fameux « Made in Germany » du début du siècle dernier. Suivent cent vingt pages de projets les plus divers allant des mines (d’or, de fer ou de cuivre) à l’agro-alimentaire, des transports aux télé-communications, du textile à l’exploitation forestière, et couvrant la plupart des pays du continent. Il serait important d’accompagner l’Afrique sur un modèle qui ne soit plus celui de la coopération et de l’aide au développement mais tout simplement celui d’un partenariat d’égal à égal. Dans ce « grand jeu », l’Europe risque de se faire doubler, si ce n’est déjà fait. La rédactrice en chef Economie de Jeune Afrique, Aurélie M’Bida pose clairement la question : l’Europe a-t-elle encore un rôle à jouer en Afrique ? Je cite certaines de ses remarques, qui me paraissent très pertinentes : « L’Afrique ne demande pas de nouvelles conférences, mais des contrats, des co-investissements, des transferts de savoir-faire. » Et elle conclut : « Le Vieux Continent ne peut plus se contenter de « vendre » sa proximité historique ou ses valeurs. Il doit « acheter »sa place dans la nouvelle architecture économique mondiale. S’il ne s’adapte pas, il se fera doubler. Déjà, les Emirats, la Turquie, l’Inde ou la Russie occupent les espaces laissés vacants ». On ne saurait être plus clair. A nous d’être clairvoyants. Au moins les Etats-Unis n’ont pas encore vraiment découvert le potentiel de l’Afrique. L’ignorance spectaculaire dont Donald Trump a fait montre, le 13 juillet dernier, en s’étonnant que le Chef d’Etat libérien parle anglais (« Your English is excellent. Where have you been educated ? ») illustre bien cette absence (provisoire) d’intérêt pour ce que les Américains doivent considérer comme un « trou noir ». Mais cela ne durera pas. A nous de profiter de la situation présente

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