Alicia PIVETEAU 10 décembre 2019 ActualitéActualités analyséesAfrique et Moyen-OrientAfrique subsaharienne Leave a comment

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Le Sahel est confronté à de nombreuses crises, qu’elles soient d’ordre humanitaire, environnemental ou sécuritaire. Outre les conflits armés, les changements climatiques dramatiques et la forte expansion démographique de la région inquiètent. Selon les Nations Unies, 24% de la croissance démographique mondiale d’ici à 2050 proviendra de dix pays du Sahel.

Regroupement d’enfants, Yanfolila, Mali.

Le Sahel, une “bombe démographique”

L’actualité est rythmée par l’annonce d’attaques et des difficultés du G5 Sahel, adossé à l’opération Barkhane, d’annihiler la myriade de groupes djihadistes présente au Sahel. L’occasion se présente ici d’interroger les liens entre dégradation sécuritaire et explosion démographique. Mauritanie, Mali, Tchad, Burkina Faso et Niger connaissaient des fragilités structurelles et sécuritaires préexistantes à l’explosion démographique. Ce phénomène de population est ici à concevoir comme un élément amplificateur qui agit tant sur les racines de la crise que sur ses conséquences.

La population des pays du G5 Sahel passera de 83,7 millions d’habitants en 2019, dont environ 50% de moins de 15 ans, à 196 millions en 2050. Dans la zone des trois frontières, épicentre de la crise, le Niger se démarque particulièrement. Le pays comptabilise 21,48 millions de nigériens en 2019. Il présente la plus forte croissance africaine (3,8% selon la Banque Mondiale) et le taux de fécondité le plus élevé (6,5 enfants par femme selon l’ONU). Cette démographie exponentielle et la jeunesse de la population peuvent constituer un vivier de recrutements à l’avantage des groupes terroristes. En parallèle, les tensions interethniques renforcent la volonté de maintenir et de perdurer le groupe. Cette logique sociale fortement présente tend au ralentissement de la transition démographique[1].

Pour le démographe Michel Garenne, il est urgent de ne plus laisser la question démographique de côté, au risque d’arriver à une “situation insoutenable”. Il met en garde contre les conséquences de la surpopulation : migrations, guerres, famines, épidémies. “Il n’y aura pas assez de place et de ressources pour tout le monde”, précise-t-il.

Des tensions exacerbées par le réchauffement climatique

Le paramètre du réchauffement climatique est également à prendre en compte dans l’équation. Les scientifiques du GIEC l’affirment : le Sahel est l’une des régions les plus vulnérables face au changement climatique. À son climat aride s’ajoute la désertification, la réduction des terres arables, la diminution significative de la pluviométrie ou encore la réduction et l’imprévisibilité de la saison des pluies. En somme, le stress hydrique et alimentaire s’annonce sans précèdent dans la région. L’enjeu est d’autant plus stratégique dans le cadre d’une économie agropastorale où 80 % de la population dépend de ces ressources naturelles pour garantir sa subsistance.

La demande en ressources augmente donc alors que, au même moment, l’offre diminue. En parallèle, les migrations climatiques s’accumulent aux déplacements déclenchés par l’insécurité. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, ces déplacements ont concerné 4,1 millions de personnes au Sahel en 2019. Temporaires ou définitifs, internes ou externes, ils peuvent être un vecteur de tensions.

Longtemps, les dispositifs de planification des naissances ont été impopulaires auprès des populations. De même, les défis liés à la démographie restaient peu abordés par les gouvernements à l’échelle nationale. La mise en valeur des vertus économiques est parfois préférée au bilan alarmiste. Or, les croissances économiques ont été en partie absorbées par l’expansion démographique. Compte-tenu du contexte, les chances de bénéficier du dividende démographique sont faibles[1]. Toutefois, les Etats semblent prendre progressivement des mesures. Le Niger, par exemple, s’est doté d’une Politique nationale de population depuis août 2019. L’importance du facteur démographique ne doit pas être laissé-pour-compte. Il se révèle être un point clé dans la compréhension des enjeux de sécurité et de développement à moyen et long terme dans la région. D’intenses efforts de développement peuvent encore influencer et accélérer la transition démographique.

Notes

[1] Le dividende démographique correspond à la situation suivant la baisse rapide d’une fécondité élevée. La part des personnes en âge de travailler est favorable : il y a peu de personnes âgés et peu d’enfants à charge. C’est une période de forte stimulation économique qui a énormément profité aux émergents asiatiques. Dans le cas présent, la baisse de la fécondité est trop lente et les perspectives d’emplois sont faibles.

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