Clara SCHLECK 17 juillet 2020 / Les Yeux Du Monde
L’Ethiopie est confrontée à des conflits interethniques qui ont entraîné le déplacement interne de plus de 3 millions de personnes. Les Oromos, le plus important groupe ethnique qui forme 34,5% de la population, est au cœur de ces tensions. Les violences communautaires qui ont suivi la mort d’un célèbre chanteur début juillet menacent aujourd’hui le fédéralisme éthiopien en ravivant les tensions entre les différentes ethnies.
Les violences communautaires ont fait de l’Ethiopie le deuxième pays avec le plus de déplacés internes.
Des manifestations, des violences communautaires et une répression importante
Hachalu Hundessa, l’un des plus célèbres musiciens éthiopiens, était également un activiste qui soutenait la cause de l’ethnie oromo. Il avait été emprisonné durant cinq ans en 2005 à cause de ses activités, et ses chansons reflétaient son engagement. Son assassinat le 29 juin a alors entraîné d’importantes manifestations dans la capitale Addis-Abeba et dans la région de l’Oromia. Ces mécontentements se sont renforcés après le report des élections par le parlement en raison de la pandémie de Covid-19 ainsi qu’après la répression sévère des manifestations.
Le pouvoir en place a en effet répondu fermement, ce qui a aggravé les violences. En plus des 239 victimes de la police et des affrontements entre les différentes communautés, 35 « suspects » ont été arrêtés. Parmi eux, la présence de l’opposant oromo Jawar Mohammed a avivé les mécontentements. Le gouvernement a aussi coupé la connexion internet dans la capitale pour limiter les débordements. Face à la montée des tensions, le premier ministre Abiy Ahmed a fait allusion au fait que l’Egypte pouvait être derrière ce meurtre « dans le but de déstabiliser la paix ». Il s’agit d’une tentative d’unir le pays contre un ennemi commun, alors que les tensions sont particulièrement élevées entre les deux Etats.
Un contexte favorable aux violences communautaires en Ethiopie
Comment expliquer de telles agitations, alors qu’Abiy Ahmed, au pouvoir depuis 2018, a démocratisé le pays ? En réalité, de nombreux Oromos ne sont pas satisfaits de sa politique alors qu’il est issu de leur ethnie. Le chanteur assassiné Hachalu Hundessa et l’opposant politique arrêté Jawar Mohammed l’accusent de délaisser la cause oromo en privilégiant la nation éthiopienne au lieu de donner plus de pouvoir aux régions. Cela vient du fait que les Oromos se sont longtemps considérés comme tenus à l’écart du pouvoir politique. Les Ahmaras (20% de la population) et les Tigréens (6%) ont en effet longtemps dirigé l’Ethiopie, sous l’Empire éthiopien (1270-1975) et jusqu’à la chute de la junte communiste en 1991.
Les revendications des Oromos s’inscrivent dans un contexte national de tensions interethniques. Elles ont été accentuées avec la Constitution de 1995 qui donne le pouvoir politique de chaque région à l’ethnie majoritaire qui y réside, alors même que la répartition des peuples n’y est pas homogène. Ainsi, la capitale Addis-Abeba est au cœur des tensions. Les Oromos revendiquent aujourd’hui la possession de la ville aux 7 millions d’habitants de diverses ethnies. Ils sont également en conflit avec les Somali au sud du pays au sujet de la frontière entre leurs régions. Les Amharas et les Tigréens rechignent quant à eux à céder le pouvoir qu’ils détenaient jusqu’alors.
Un risque de dislocation ?
Ces tensions et violences communautaires accentuent la progression des nationalismes ethniques au dépend de l’unionisme éthiopien. Certains craignent même une balkanisation de l’Ethiopie, pays composé de 80 groupes ethniques différents. Comme l’affirme le spécialiste de la Corne de l’Afrique Gérard Prunier, la situation en Ethiopie est similaire « à celle de la Yougoslavie juste avant que n’y éclatent les guerres », c’est-à-dire avec des régions ethniques qui demandent de plus en plus d’autonomie voire leur indépendance.
Ces agitations – les plus importantes depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed – sont-elles les signes avant-coureurs d’un éclatement du pays ? Elles laissent pour le moins présager une augmentation des violences communautaires en Ethiopie sur le long terme et du séparatisme armé.
Sources :
Le Monde, “Ethiopie : les émeutes après le meurtre d’un chanteur oromo ont fait plus de 230 morts”, 8 juillet 2020
International Crisis Group, “Defusing Ethiopia’s Latest Perilous Crisis”, 3 juillet 2020
RFI, “Chanteur oromo assassiné en Éthiopie: Abiy Ahmed dénonce une tentative de «déstabilisation»”, 1 juillet 2020
Le Temps, “L’Ethiopie à l’épreuve des conflits ethniques”, 13 janvier 2019
Quartz Africa, “Ethiopia’s inability to protect its ethnic minorities is the biggest obstacle to peace”, 15 novembre 2019
France culture, “Ethiopie : le risque d’une balkanisation est-africaine ?” 27 juin 2019
About Clara SCHLECK
Clara Schleck étudie l’histoire à l’unive rsité Panthéon-Sorbonne, après deux années de classe préparatoire littéraire au lycée Janson de Sailly.