Prévu pour la rentrée, le nouveau programme fait la part belle à l’enseignement de la religion et élague des passages de l’histoire liés au fondateur de la République turque, Atatürk, critiquent certains syndicats et parents d’élèves qui y voient une tentative de matraquage idéologique de la part du pouvoir islamo-nationaliste.
“Nous allons former une génération pieuse”, promettait en 2012 le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Une promesse qu’il réitère régulièrement depuis lors et qui passe notamment par une refonte progressive du système d’enseignement.
Déjà il y a douze ans, une première réforme de l’institution scolaire avait ouvert la voie à une multiplication des “écoles d’imams”, des établissements publics axés sur des programmes confessionnels, dont le nombre de lycées a bondi ces dix dernières années, passant de 1 017 à 1 714. Paradoxalement, le nombre d’élèves de ces établissements a chuté au cours de la même période, signe que les parents sont peu désireux d’y envoyer leurs enfants.
En 2017, une autre réforme des programmes décidait de la suppression de l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les établissements publics et privés. Désormais, c’est au tour d’une nouvelle réforme d’entrer en vigueur à la prochaine rentrée. Elle suscite d’ores et déjà la polémique.
Atatürk renvoyé au second plan
Avec pour but de former des élèves “patriotes”, “travailleurs”, en phase avec les “valeurs morales et nationales” et fidèles à la “famille”, la nouvelle réforme veut en effet mettre l’accent sur les valeurs religieuses et rayer certains pans de l’enseignement de l’histoire consacrés à Mustafa Kemal Atatürk – fondateur de la République turque laïque –, souligne l’hebdomadaire Gazete Oksigen.
Mardi 11 juin, à l’appel du syndicat de gauche d’enseignants et travailleurs éducatifs Egitim-Sen, professeurs et parents d’élèves ont ainsi défilé dans de nombreuses villes du pays pour protester contre cette réforme. “Au lieu de consulter les experts ou les syndicats du secteur de l’éducation, c’est avec les confréries religieuses qu’ils ont élaboré ces nouveaux programmes !” s’indignait le chef du syndicat, Kemal Irmak, lors d’une manifestation à Ankara, rapporte le média en ligne Medyascope.
“Ce sont des gens qui sont contre l’égalité des chances pour les enfants du peuple, qu’ils méprisent”, a commenté le président turc à l’encontre des opposants à la réforme. “Je suis un père de famille. Mes quatre enfants sont tous diplômés d’une école d’imam, et cela n’a pas empêché l’un d’entre eux d’entrer à Harvard”, a-t-il ajouté, repris dans les colonnes du quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak.
Se convertir en guise de protestation
Afin d’obtenir une dispense pour son enfant de l’enseignement du contenu religieux des nouveaux programmes, Bülent Sagis, habitant de la ville de Didim, sur les côtes de la mer Egée, a décidé de se convertir au christianisme, car les élèves juifs et chrétiens sont dispensés des cours de religion obligatoires, rapporte le quotidien kémaliste Sözcü. “J’ai demandé aux autorités locales d’enregistrer mon changement de religion. Je ne veux pas de cette réforme qui piétine la démocratie, la laïcité et la figure d’Atatürk”, témoigne ce parent d’élève.
La question des nominations des professeurs s’invite également dans le débat. Le pays compte environ 350 000 aspirants enseignants qui, bien qu’ayant passé l’examen pour accéder aux fonctions d’enseignement, patientent dans l’attente d’une hypothétique nomination.
Le média en ligne Turkey Recap consacre un article à ce sujet, interrogeant des jeunes sans emploi qui sont venus grossir les rangs d’une manifestation qui s’est tenue le 18 mai à Istanbul. Dans le viseur des critiques figure notamment l’entretien oral, second passage obligé pour les candidats reçus, qui est soupçonné d’être le lieu d’un triage idéologique et politique des impétrants.