Par Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar

Rédigé par Huê Trinh Nguyên |

L’avis de Saphirnews

Un ouvrage de plus sur ceux et celles qui se sont radicalisé-e-s au nom de l’islam ? Tandis que Raqqa, capitale autoproclamée de l’État islamique en Syrie, vient de tomber, nulle place au triomphalisme car l’emprise idéologique, elle, demeure. Et il faut s’expliquer pourquoi près de 500 femmes en France ont choisi de rallier Daesh, convaincues de gagner le Paradis.

La double plume de deux grands spécialistes que sont le psychanalyste Fethi Benslama et le sociologue Farhad Khosrokhovar permet de saisir en quoi le fait de devenir une « surmusulmane » dans un régime pourtant oppressif et régressif leur donne le sentiment d’exister en tant que femme pourvue d’une vocation sociale et sacrée.

Sur la base de leurs observations cliniques et sociologiques, les auteurs distinguent ainsi quatre types de femmes et d’adolescentes jihadistes.

Celles qui veulent devenir une umm (mère) cherchant la « mort salvifique par procuration ». Elles savent par avance qu’elles seront veuves d’un homme mort au combat et ont intégré la distinction des rôles hommes-femmes : les hommes étant combattants de la foi, les femmes étant procréatrices d’enfants qui seront eux-mêmes très tôt orphelins mais perpétueront la lignée de futurs jihadistes. Selon leurs croyances, les martyrs permettent en effet de faire entrer toute la famille au Paradis.

D’autres femmes ne veulent pas se contenter de la mort par procuration et voudraient combattre les armes à la main. Elles veulent imposer leur vision du monde par la violence et, bien que minoritaires, passent à l’acte à l’instar des jihadistes masculins. Les auteurs les nomment les « héroïnes négatives ». D’autres n’y parviennent pas : elles investissent alors le champ identitaire hyperfondamentaliste (vestimentaire, mode de vie…) en devenant des « surmusulmanes ».

Celles qui n’ont pu partir sont déconnectées de la société en voulant vivre un « romantisme révolutionnaire ». Les « adolescentes et post-adolescentes jihadisées » puisent dans la transgression, l’affrontement brutal à la société (et pour certaines d’entre elles la préparation d’actes terroristes sur le sol français) une forme de reconnaissance.

Enfin, certaines sont des « fugitives du trauma » : pour celles qui ont subi des violences dans le milieu familial ou des sévices physiques, leur départ en Syrie est vécu comme une thérapie qui leur ouvre une nouvelle vie plus cadrée, plus autoritaire, elles « jihadisent leur trauma ».

Plutôt que de présenter les femmes attirées par le discours et la vision du monde de Daesh comme de simple victimes de l’emprise sectaire, les auteurs proposent une approche qu’ils qualifient de « duale transitionnelle », par le croisement de la psychanalyse et de la socio-anthropologie. Pour eux, l’analyse ne saurait être binaire (radicalisation de l’islam ou islamisation de la radicalité ? déficience psychologique ou attitude révolutionnaire ?…) : ils invitent à une analyse multidirectionnelle du phénomène à la mesure de sa complexité.

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur

Elles sont environ cinq cents à avoir choisi de rallier Daech. Comment penser ce phénomène et l’ampleur qu’il a prise en Europe, au point que, en 2015, le nombre de candidates au départ est devenu presque égal à celui des hommes ? Quelles sont les motivations et les aspirations de ces jeunes femmes et parfois toutes jeunes filles ?

En mettant en œuvre d’une manière complémentaire les approche sociologique et psychanalytique, ce livre propose d’abord des analyses qui se fondent sur des critères objectifs (âge, classe sociale, lieu de résidence, culture musulmane ou conversion, etc.). Il éclaire ensuite les ressorts subjectifs de l’adhésion à ce régime violemment oppressif qui dénie aux jeunes femmes les acquis de l’émancipation féminine mais leur donne paradoxalement le sentiment d’exister enfin en tant qu’épouse de combattant et mère de « lionceaux », promis au combat comme leurs maris le sont à la mort.

Il faut s’intéresser à l’attrait qu’exerce une telle régression car il est probable qu’il constitue l’un des marqueurs de notre modernité.

Les auteurs

Fethi Benslama est psychanalyste, professeur de psychopathologie et doyen de l’UFR d’Études psychanalytiques à l’Université Paris-Diderot.

Farhad Khosrokhavar est sociologue, directeur d’études à l’EHESS et directeur de l’Observatoire de la radicalisation à la Fondation de la Maison des sciences de l’homme à Paris.

 Source :SaphirNews

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